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La beauté et la laideur, comment les comprendre ?


« Que voulez-vous que je fasse d’un type avec des oreilles pareilles ? » aurait-dit Jack Warner après avoir visionné le bout d’essai de Clark Gable pour Autant en emporte le vent. On connait la suite....


A chaque siècle, philosophes et artistes ont fourni des définitions de la beauté, qui ont permis de construire une histoire des idées esthétiques.


Il en est allé tout autrement avec la laideur, définie souvent en opposition à la beauté sans qu’on lui consacre une histoire.


Et pourtant une telle histoire a des caractères communs nombreux avec celle de la beauté.


Tout d’abord nous ne pouvons que supposer que les goûts communs correspondaient, plus ou moins, aux goûts artistiques de leur temps.


Ensuite nous sommes limités à étudier la civilisation occidentale car si pour les peuples primitifs et pour les civilisations archaïques nous avons des pièces artistiques, nous ne disposons d’aucun texte théorique explicitant le sens à donner à ces œuvres (plaisir, terreur, sacré, hilarité...) et pour les civilisations riches en textes (civilisations indienne, japonaise, chinoise) il nous est malaisé de savoir jusqu’à quel point leurs concepts sont identifiables aux nôtres.


Que faut-il entendre par « laid » et par « beau » ?


Leur sens a changé tout au long de l’histoire occidentale.


Voyez ce philosophe médiéval pour qui la juste proportion est celle des cathédrales tandis qu’un théoricien de la Renaissance au XVI° pense plutôt au nombre d’or et qualifie de « gothiques » les proportions des cathédrales.


Les concepts de beauté et de laideur sont relatifs aux périodes historiques et aux cultures.


« Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté, le grand beau. Il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez le diable : il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes et une queue. » (Voltaire)


Tout est donc relatif comme dit ma concierge : nous pouvons trouver que certaines œuvres sont sublimes alors que pour d’autres populations, elles seront jugées affreuses, insignifiantes, voire absurdes ou laides.


Et cela vaut pour les sculptures comme pour la musique.


Bien que la beauté et la laideur soient relatives aux époques et aux cultures, on a toujours essayé de les concevoir par rapport à un modèle stable : l’homme.


« Dans le beau l’homme se pose comme mesure de la perfection ; dans des cas choisis, il s’y adore...Nous entendons le laid comme un signe et un symptôme de la dégénérescence. Chaque indice d’épuisement, de lourdeur, de vieillesse, de fatigue, la forme de la décomposition, de la putréfaction... tout cela provoque la même réaction, le jugement « laid »...Qui l’homme haït-il ici ? Mais, il n’y a ici aucun doute : l’abaissement de son type ». (Nietzsche)


C’est pourquoi on définissait impitoyablement comme laids, les êtres « troubles » (Thomas d’Aquin) les erreurs de la nature, souvent « malmenés » par les artistes, et pour le monde animal, les hybrides, cette mauvaise union des aspects formels de deux espèces différentes.


Le laid est-il donc seulement le contraire du beau ?


Il faut savoir gré à Karl Rosenkranz d’avoir établi le premier, en 1853, une analogie entre le laid et le

mal moral.


De même que le mal et le péché s’opposent au bien, dont ils sont l’enfer, ainsi le laid est « l’enfer du beau », une sorte de possible « erreur » que le beau contient en lui-même si bien que toute esthétique en tant que science du beau, est contrainte d’aborder aussi le concept de laideur.


Faisons l’effort (pour certains) de nous arrêter devant des œuvres exprimant la laideur.


Leur examen minutieux nous révèle, la laideur de la nature, la laideur spirituelle, la laideur dans l’art (et les différentes formes d’incorrection artistique) l’absence de forme, l’asymétrie, la disharmonie, la défiguration, et la déformation (le vil, le mesquin, le faible, le banal, le casuel, l’arbitraire, le grossier) les différentes formes du répugnant (le gauche, le mort et le vide, l’horrible, le niais, le dégoûtant, le criminel, le spectral, le démonique, le sorcier et le satanique.


C’est manifestement trop pour continuer à dire que le laid est le simple contraire du beau entendu comme harmonie, proportion ou intégrité.


Changer notre approche de la laideur.


Vous aurez constaté que tous les synonymes de beau provoquent une réaction d’appréciations désintéressées alors que tous ceux de laid son associés à une réflexe de dégoût voire de violente répulsion, d’horreur ou d‘épouvante.


Alors, puisque la laideur provoque des réactions passionnelles, tel le dégoût, ne nous est-il pas possible de prononcer un jugement esthétique de la laideur ?


Cela nous permettrait de distinguer les manifestations du laid en soi (des excréments, une charogne, un être couvert de plaies) de celles du laid formel, ce déséquilibre dans la relation organique entre les parties d’un tout.


C’est là que la représentation artistique prend toute sa valeur : le laid imité dans l’œuvre reçoit une sorte de réverbération de beauté par le talent de l’artiste, cette répugnante et insupportable laideur qui symbolise pourtant l’authenticité existentielle, c’est-à-dire la vie dans sa fragilité, sa vulnérabilité, son dénuement, son impudeur et sa violence.


Il est donc possible de réaliser le beau en imitant avec maestria ce qui est repoussant.


Si les « beaux-arts » ne caractérisent plus l’ensemble de la production artistique comme le remarque Yves Michaud, c’est aussi parce qu’il faut y adjoindre entre autres, les « laids-arts » qui en montrant certaines facettes de l’existence ont donné à voir des productions dérangeantes, provocantes indécentes, susceptibles même parfois de conduire certains spectateurs soit à un sentiment de répulsion ou de dégoût, soit à un sentiment ambivalent de fascination et d’aversion.


Finalement, et si les sorcières de Macbeth avaient raison lorsqu’elles s’écrient, au premier acte : « Le laid est beau et le beau est laid... » ?



Source : www.decemberart.com

Photo : nobilified.com





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